Selected Poems of Victor Hugo

 
Four poems from
Selected Poems of Victor Hugo
A Bilingual Edition
Translated by E.H. Blackmore and A.M. Blackmore

Published by the University of Chicago Press

X. Clair de lune

La lune était sereine et jouait sur les flots.—
La fenêtre enfin libre est ouverte à la brise;
La sultane regarde, et la mer qui se brise,
Là-bas, d'un flot d'argent brode les noirs îlots.

De ses doigts en vibrant s'échappe la guitare.
Elle écoute…Un bruit sourd frappe les sourds échos.
Est-ce un lourd vaisseau turc qui vient des eaux de Cos,
Battant l'archipel grec de sa rame tartare?

Sont-ce des cormorans qui plongent tour à tour,
Et coupent l'eau, qui roule en perles sur leur aile?
Est-ce un djinn qui là-haut siffle d'une voix grêle,
Et jette dans la mer les créneaux de la tour?

Qui trouble ainsi les flots près du sérail des femmes?—
Ni le noir cormoran, sur la vague bercé,
Ni les pierres du mur, ni le bruit cadence
D'un lourd vaisseau rampant sur l'onde avec des rames.

Ce sont des sacs pesants, d'où partent des sanglots.
On verrait, en sondant la mer qui les promène,
Se mouvoir dans leurs flancs comme une forme humaine.—
La lune était sereine et jouait sur les flots.

From Les Orientales (1829)

  X. Moonlight

The moon was calm, and flecked the ocean streams.
The casement opens freely to the breeze;
While the sultana watches, breaking seas
Weave the black isles below with silver seams.

The lute slips from her fingers as she plays.
She listens:…echoes, dull, from some dull sound.
Is it a Turkish ship, full, homeward bound,
Whose Tartar oars beat the Greek waterways?

Are cormorants plunging successively,
Cleaving the waves, whose pearls roll from their wings?
Perhaps a djinn, with reedy whispers, flings
The tower's battlements into the sea?

Who is thus troubling the seraglio's shores?—
Neither the cormorant cradled on the flow,
Nor the wall's capstones, nor the to-and-fro
Of heavy vessels with their dipping oars.

Merely full sacks emitting muffled screams;
And as they sink, there might perhaps be spied
Something like human forms moving inside.…
The moon was calm, and flecked the ocean streams.



VII. A Virgile

O Virgile! ô poëte! ô mon maître divin!
Viens, quittons cette ville au cri sinistre et vain
Qui, géante, et jamais ne fermant la paupière,
Presse un flot écumant entre ses flancs de pierre,
Lutèce, si petite au temps de tes césars,
Et qui jette aujourd'hui, cité pleine de chars,
Sous le nom éclatant dont le monde la nomme,
Plus de clarté qu'Athène et plus de bruit que Rome.

Pour toi qui dans les bois fais, comme l'eau des cieux,
Tomber de feuille en feuille un vers mystérieux,
Pour toi, dont la pensée emplit ma rêverie,
J'ai trouvé, dans une ombre où rit l'herbe fleurie,
Entre Buc et Meudon, dans un profond oubli,
— Et quand je dis Meudon, suppose Tivoli!—
J'ai trouvé, mon poëte, une chaste vallée
A des coteaux charmants nonchalamment mêlée,
Retraite favorable à des amants cachés,
Faite de flots dormants et de rameaux penchés,
Où midi baigne en vain de ses rayons sans nombre
La grotte et la forêt, frais asiles de l'ombre.

Pour toi je l'ai cherchée, un matin, fier, joyeux,
Avec l'amour au cœur et l'aube dans les yeux;
Pour toi je l'ai cherchée, accompagné de celle
Qui sait tous les secrets que mon âme recèle,
Et qui, seule avec moi sous les bois chevelus,
Serait ma Lycoris si j'étais ton Gallus.

Car elle a dans le cœur cette fleur large et pure,
L'amour mystérieux de l'antique nature.
Elle aime comme nous, maître, ces douces voix,
Ce bruit de nids joyeux qui sort des sombres bois,
Et, le soir, tout au fond de la vallée étroite,
Les coteaux renversés dans le lac qui miroite,
Et, quand le couchant morne a perdu sa rougeur,
Les marais irrités des pas du voyageur,
Et l'humble chaume, et l'antre obstrué d'herbe verte,
Et qui semble une bouche avec terreur ouverte,
Les eaux, les prés, les monts, les refuges charmants,
Et les grands horizons pleins de rayonnements.

Maître! puisque voici la saison des pervenches,
Si tu veux, chaque nuit, en écartant les branches,
Sans éveiller d'échos à nos pas hasardeux,
Nous irons tous les trois, c'est-à-dire tous deux,
Dans ce vallon sauvage, et de la solitude,
Rêveurs, nous surprendrons la secrète attitude.
Dans la brune clairière où l'arbre au tronc noueux
Prend le soir un profil humain et monstrueux,
Nous laisserons fumer, à côté d'un cytise,
Quelque feu qui s'éteint sans pâtre qui l'attise,
Et, l'oreille tendue à leurs vagues chansons,
Dans l'ombre, au clair de lune, à travers les buissons,
Avides, nous pourrons voir à la dérobée
Les satyres dansants qu'imite Alphésibée.

From Les Voix intérieures (1837)

  VII. To Virgil

Virgil! come, O poet, O my sacred master!
Let us leave this city with its sinister vain moan,
This gigantic city that never shuts its eyelids,
Squeezing frothy streams between its flanks of stone—
Tiniest Lutetia in the epoch of your Caesars,
Nowadays a massive chariot-filled home
Shedding, with a dazzling name that all the world names,
More of light than Athens, more of noise than Rome.

You that in the forest make mysterious verses
Drop from leaf to leaf like water from the skies,
I have found for you whose wisdom fills my reveries,
In the cheerful shadows where the flowering shrubbery lies,
Halfway from Meudon to Buc, in deep oblivion
(When I say "Meudon," imagine Tivoli),
I have found you, poet, an uncorrupted valley
Where delightful hillsides mingle carelessly,
A most suitable retreat for secret lovers,
Made of hanging branches, with sleeping streams arrayed,
Where noon vainly bathes with its light-rays beyond number
Forest-depth and grotto, cool sanctuaries of shade.

Yes, for you I found it, one morning, proud and happy,
Dawn within my eyes and love within my heart,
Yes, for you I found it, in the presence of the one who
Knows the hidden things that my soul has kept apart,
Who, were I your Gallus, would be my Lycoris,
She and I alone, within the tousled bower.

She too has the mystic love of age-old nature,
She too has within her that pure and outspread flower!
Master, just as we do, she loves these gentle voices,
Sounds of joyful nests that leave the somber trees,
And at evening, in the depths of the slim valley,
Hillsides upside down in sparkling little seas,
And, when all the red has gone from the sad sunset,
Marshes irritated by the traveler's tread,
All the humble cottages, the caverns choked with verdure
(Looking very much like mouths that gape with dread),
Waters, meadows, mountains, the delightful refuges,
And the broad horizons radiant with light.

Master, since it is the time of year for periwinkles,
If you like, parting the branches every night,
Never rousing up the echoes with rash footsteps,
We shall steal off into this wild valley in a mood
Of hushed reverie— just the three of us, two lovers
All alone— to spy on the secret solitude.
In the somber clearing, where the tree with its gnarled torso
After dark assumes a monstrous human form,
We shall leave the spent fires under the laburnum
With no shepherd there to keep the embers warm;
And, our ears extended for their muffled singing, keenly,
In the moonlit shadows, through the bushes, as we wait,
We may see the stealthy dancing of the satyrs
Which Alphesiboeus used to imitate.



II.vi. Lettre

Tu vois cela d'ici.— Des ocres et des craies,
Plaines où les sillons croisent leurs mille raies,
Chaumes à fleur de terre et que masque un buisson,
Quelques meules de foin debout sur le gazon,
De vieux toits enfumant le paysage bistre,
Un fleuve qui n'est pas le Gange ou le Caystre,
Pauvre cours d'eau normand troublé de sels marins,
A droite, vers le nord, de bizarres terrains
Pleins d'angles qu'on dirait façonnés à la pelle,
Voilà les premiers plans; une ancienne chapelle
Y mêle son aiguille, et range à ses côtés
Quelques ormes tortus, aux profils irrités,
Qui semblent, fatigués du zéphyr qui s'en joue,
Faire une remontrance au vent qui les secoue.
Une grosse charrette au coin de ma maison
Se rouille, et devant moi j'ai le vaste horizon
Dont la mer bleue emplit de toutes les échancrures.
Des poules et des coqs, étalant leurs dorures,
Causent sous ma fenêtre, et les greniers des toits
Me jettent, par instants, des chansons en patois.
Dans mon allée habite un cordier patriarche,
Vieux qui fait bruyamment tourner sa roue, et marche
A reculons, son chanvre autour des reins tordu.
J'aime ces flots où court le grand vent éperdu.
Les champs à promener tout le jour me convient;
Les petits villageois, leur livre en main, m'envient,
Chez le maître d'école où je me suis logé,
Comme un grand écolier abusant d'un congé.
Le ciel rit, l'air est pur; tout le jour, chez mon hôte,
C'est un doux bruit d'enfants épelant à voix haute;
L'eau coule, un verdier passe; et, moi, je dis: Merci!
Merci, Dieu tout-puissant!— Ainsi je vis; ainsi,
Paisible, heure par heure, à petit bruit j'épanche
Mes jours, tout en songeant à vous, ma beauté blanche!
J'écoute les enfants jaser, et par moment
Je vois en pleine mer passer superbement,
Au-dessus des pignons du tranquille village,
Quelque navire ailé qui fait un long voyage,
Et fuit sur l'océan, par tous les vents traqué,
Qui naguère dormait au port, le long du quai,
Et que n'ont retenu, loin des vagues jalouses,
Ni les pleurs des parents, ni l'effroi des épouses,
Ni le sombre reflet des écueils dans les eaux,
Ni l'importunité des sinistres oiseaux.

From Les Contemplations (1856)

  II.vi. Letter

You can see it already: chalks and ochers;
Country crossed with a thousand furrow-lines;
Ground-level rooftops hidden by the shrubbery;
Sporadic haystacks standing on the grass;
Smoky old rooftops tarnishing the landscape;
A river (not Cayster or Ganges, though:
A feeble Norman salt-infested watercourse);
On the right, to the north, bizarre terrain
All angular— you'd think a shovel did it.
So that's the foreground. An old chapel adds
Its antique spire, and gathers alongside it
A few gnarled elms with grumpy silhouettes;
Seemingly tired of all the frisky breezes,
They carp at every gust that stirs them up.
At one side of my house a big wheelbarrow
Is rusting; and before me lies the vast
Horizon, all its notches filled with ocean blue;
Cocks and hens spread their gildings, and converse
Beneath my window; and the rooftop attics,
Now and then, toss me songs in dialect.
In my lane dwells a patriarchal rope-maker;
The old man makes his wheel run loud, and goes
Retrograde, hemp wreathed tightly round the midriff.
I like these waters where the wild gale scuds;
All day the country tempts me to go strolling;
The little village urchins, book in hand,
Envy me, at the schoolmaster's (my lodging),
As a big schoolboy sneaking a day off.
The air is pure, the sky smiles; there's a constant
Soft noise of children spelling things aloud.
The waters flow; a linnet flies; and I say: "Thank you!
Thank you, Almighty God!"— So, then, I live:
Peacefully, hour by hour, with little fuss, I shed
My days, and think of you, my lady fair!
I hear the children chattering; and I see, at times,
Sailing across the high seas in its pride,
Over the gables of the tranquil village,
Some winged ship which is traveling far away,
Flying across the ocean, hounded by all the winds.
Lately it slept in port beside the quay.
Nothing has kept it from the jealous sea-surge:
No tears of relatives, nor fears of wives,
Nor reefs dimly reflected in the waters,
Nor importunity of sinister birds.



V.xxiv. "J'ai cueilli cette fleur pour toi sur la colline…"

J'ai cueilli cette fleur pour toi sur la colline.
Dans l'âpre escarpement qui sur le flot s'incline,
Que l'aigle connaît seul et peut seul approcher,
Paisible, elle croissait aux fentes du rocher.
L'ombre baignait les flancs du morne promontoire:
Je voyais, comme on dresse au lieu d'une victoire
Un grand arc de triomphe éclatant et vermeil,
A l'endroit où s'était englouti le soleil,
La sombre nuit bâtir un porche de nuées.
Des voiles s'enfuyaient, au loin diminuées;
Quelques toits, s'éclairant au fond d'un entonnoir,
Semblaient craindre de luire et de se laisser voir.
J'ai cueilli cette fleur pour toi, ma bien-aimée.
Elle est pâle, et n'a pas de corolle embaumée,
Sa racine n'a pris sur la crête des monts
Que l'amère senteur des glauques goëmons;
Moi, j'ai dit: Pauvre fleur, du haut de cette cime,
Tu devrais t'en aller dans cet immense abîme
Où l'algue et le nuage et les voiles s'en vont.
Va mourir sur un cœur, abîme plus profond.
Fane-toi sur ce sein en qui palpite un monde.
Le ciel, qui te créa pour t'effeuiller dans l'onde,
Te fit pour l'océan, je te donne à l'amour.—
Le vent mêlait les flots; il ne restait du jour
Qu'une vague lueur, lentement effacée.
Oh! comme j'étais triste au fond de ma pensée
Tandis que je songeais, et que le gouffre noir
M'entrait dans l'âme avec tous les frissons de soir!

From Les Contemplations (1856)

  V.xxiv. "I picked this flower for you on the hilltop…"

I picked this flower for you on the hilltop.
In the steep scarp that overhangs the tide,
Which only eagles know and only they can reach,
Calmly she grew on the rock's creviced side.
Darkness was bathing all the slopes of the bleak promontory.
In the place where the sun was going down,
I could see— as a roseate triumphal
Arch is raised up in some victorious town—
The somber night erecting a portico of clouds.
Some miniature and distant sails sped by;
A few roofs, lit up in the bottom of a hollow,
Looked half afraid to glint and catch the eye.
I picked this flower there for you, my love—
Pale-colored, and the petals have no scent;
Her root could take in nothing, on those mountains,
Except the green weed's acrid effluent.
"Poor flower," I said, "from the height of this summit
You would have passed into that gaping pit
With the massed clouds, the sailing-ships and seaweed.
Die in a gulf even more infinite;
Fade on a heart in which a world is fluttering.
You were to drop your blossoms in the spray:
For Ocean heaven made you; but to Love I send you."
The wind mingled the swell; nothing of day
Was left beyond a vague gleam, slowly vanishing.
Sad indeed were my reveries, sad and stark,
While I stood dreaming there; the whole black chasm
Entered my soul with every chill of dark.



 


Copyright notice: Excerpted from Selected Poems of Victor Hugo translated by E.H. Blackmore and A.M. Blackmore, published by the University of Chicago Press. ©2001 by the University of Chicago. All rights reserved. This text may be used and shared in accordance with the fair-use provisions of U.S. copyright law, and it may be archived and redistributed in electronic form, provided that this entire notice, including copyright information, is carried and provided that the University of Chicago Press is notified and no fee is charged for access. Archiving, redistribution, or republication of this text on other terms, in any medium, requires the consent of both the author and the University of Chicago Press.

Selected Poems of Victor Hugo: A Bilingual Edition
Translated by E.H. Blackmore and A.M. Blackmore
©2001, 664 pages, 11 halftones
Cloth $35.00 ISBN: 0-226-35980-8
Paper $22.50 ISBN: 0-226-35981-6

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